Audiodescription réalisée par l’association Accès-Cité
Les coteaux d’Allemagne ont été exploités, probablement dès l’Antiquité, pour fournir de la pierre de Caen, excellent matériau de construction. Il s’agit d’un calcaire fin, formé il y a 165 millions d’années dans une mer chaude, calme et peu profonde. Ces conditions de dépôt permettent de comprendre pourquoi une couche de 5 à 6 mètres d’épaisseur a été largement extraite, le plus souvent en souterrain pour produire des sarcophages, des pierres de taille et des dalles de pavage.
Le premier millénaire est mal documenté ; au cours de la période romane, on voit se mettre en place à Allemagne une véritable industrie d’extraction de la pierre à bâtir. Il s’agit d’un des pôles importants du centre carrier de l’agglomération caennaise. Les deux églises d’Allemagne ont fait un appel massif à une pierre de moyen appareil et les carrières du bourg ont alimenté bien d’autres chantiers aux alentours. Au cours du Moyen-Age, elles ont très probablement participé au commerce et à la diffusion de la pierre de Caen, réputée pour son usage sur les côtes normandes, parfois sur les côtes bretonnes et surtout en Angleterre. Sa conquête, en 1066, par le duc Guillaume, a été suivie très rapidement par des flux réguliers de pierre à bâtir en provenance de Caen. Les guerres ne les interrompent nullement.
Du XVIe au XVIIIe siècle, la production est continue et les carriers d’Allemagne, organisés par noyaux familiaux, travaillent de manière pérenne. Au cours du XIXe siècle, on constate un accroissement considérable de la production ; plusieurs carrières fonctionnent en même temps et plus d’une centaine de carriers vivent et travaillent dans la commune[1].
A La Maladrerie, à l’ouest et près de Caen, existe un autre pôle carrier comparable. Ici, l’activité d’extraction commencent tôt, attestée dès la fin du XIIe siècle et se fait de manière continue avec une organisation artisanale et familiale. Comme à Allemagne, l’apogée de la production se produit au cours du XIXe siècle mais prend fin plus tôt.
[1] – Laurent Dujardin, congrès de Bordeaux
La particularité d’Allemagne-Fleury est l’organisation de type industriel. Elle se met en place dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Des ouvriers, par dizaine, sont employés dans des entreprises organisées avec patron, comptables, secrétaires, etc. La première se nomme James et sera remplacée en 1906 par les carrières Fouquet. D’autres furent créées ailleurs dans la commune comme les carrières de Géo Roger et de Pochiet. La plus grande est celle de Jean-Baptiste Fouquet ; elle s’étend sur plus d’une vingtaine d’hectares en souterrain. Les techniques d’extraction sont entièrement manuelles avant la première Guerre Mondiale mais les rendements sont poussés à leur maximum grâce à l’emploi systématique des aiguilles[1] qui demandent un travail de forge régulier.
La présence d’un groupe de quatre fours à chaux constitue une autre originalité[2]. Deux datent du milieu du XIXe siècle, dans l’usine James, et deux autres datent de 1910, construits sous la direction de Jean-Baptiste Fouquet. Les déchets d’extraction et le banc de base des carrières, argileux, sont transformés par calcination en une excellente chaux. Elle est destinée à la fabrication du mortier utilisé en construction, à l’amendement des champs et à la production de sucre à partir des betteraves.
Enfin, la dernière particularité locale est la production de briques silico-calcaires. Elle commence chez Fouquet dans les années 1908 et utilise comme matière première de la poudre de pierre et de la chaux. Dans les ruines de l’usine Fouquet, on trouve toujours des trémies, des vis d’Archimède et des pièces métalliques, vestiges enfouis d’une installation importante de production de briques qui furent exportées dans le monde entier par millions jusqu’à la Seconde Guerre mondiale.
A la fin du mois de juillet 1914, une centaine de carriers vivent et travaillent à Allemagne ; quelques autres viennent des communes voisines. La plupart, une soixantaine, sont employés par l’usine Fouquet et d’autres hommes travaillent aux fours à chaux, à l’atelier de menuiserie, à la fabrication des briques et à l’ensachage de la chaux. Beaucoup partent combattre dès août 1914 et de nombreux chantiers souterrains sont abandonnés ou fortement ralentis. Au moins trois carriers et un chaufournier ne reviendront pas. Combien ont été blessés, mutilés, dans l’incapacité de reprendre le travail ? Nous l’ignorons. Plusieurs chantiers ont pu être datés avec certitude du début du XXe siècle, certains présentent des marques d’abandon rapide, comme des blocs découpés, prêts à être arrachés des murs. Nous pensons que cet abandon brutal est la conséquence du départ d’une partie importante des ouvriers vers le front.
Que reste-t-il de cette activité millénaire ? Plusieurs dizaines d’hectares en carrières souterraines, le paysage des coteaux, la tirée, l’eau de la nappe phréatique, les quatre fours à chaux, les puits d’extraction sont autant d’atouts qui permettraient une mise en valeur unique en Normandie. Il y a quelques années, quelques rares visites étaient organisées, en particulier pendant les Journées du Patrimoine. Un réel engouement pour le monde souterrain et le patrimoine local est constaté.
[1] – Cet outil ressemble à une barre à mine acérée ; il sert à découper des saignées étroite dans la roche afin d’en arracher des blocs.
[2] – Dujardin, Laurent & Coftier, Pierre, La pierre d’Allemagne et les carrières souterraines de Fleury-sur-Orne (Calvados), ESH, Hérouville-Saint-Clair, septembre 2001, 16 p.